Je me souviens avoir entendu une liste de projets qui sont restés sous forme de rêve embryonnaire. On aurait aménagé le grenier en appartement pour mon père et ma mère. La terrasse aurait été agrandie pour éviter de monter et descendre les escaliers à chaque fois que nous mangerions dehors. Le grand parc arborerait fleurs et massifs pour créer de petits salons végétaux où l’on se prélasserait les soirs d’été, bougies de citronnelle à l’appui et fous rires garantis, les gosses joueraient avec délectation dans la piscine. Mais rien de tout cela n’a jamais vu le jour à la maison de St-Martin. Mes parents se sont séparés, la nouvelle femme a détesté l’endroit dès son premier séjour, mon grand-père est décédé après une longue agonie qui a duré plus de dix ans et finalement les deux fils prodiges ont déménagé à des milliers de kilomètres.
Si l’on farfouille dans le garage, des souvenirs d’une autre époque referont surface. Modèles réduits, diapositifs, livres, coquillages et pierres, malles centenaires regorgeant de vieux habits et autres tissus jaunis, vélos rouillés par le temps, vieux journaux et moult recettes vintage découpées mais jamais testées. Il y a aussi tous ces jouets que l’on ne s’est jamais résolu à jeter mais qui ont fait le bonheur de tous les petits-enfants de la famille. Je repense à ce tracteur orange et noir ainsi qu’à tous ces poupons qui ont subi des goûters à base de sable et de pissenlits, années après années.
Les photos de famille se sont bien évidemment succédées, tout comme les fleurs annuelles que ma grand-mère plantait à chaque printemps. Mais derrière les sourires immortalisés, pour peu que l’on gratte comme la poussière qui s’est déposée sur les objets entassés dans le garage, la maisonnée n’a, hélas, jamais réussi à irradier de joie de vivre.
Les secrets de famille, la maladie, la jalousie amoureuse, les non-dits, la vengeance, la manipulation affective, les règles de vie absurdes pour certains mais de bon sens pour la maitresse de maison; toute la meilleure volonté du monde n’aurait pas réussi à garder en vie les beaux projets que l’on avait imaginé pour cette maison. Bonjour Tristesse.
Mes grand-parents l’ont acheté il y a une trentaine d’années. Ils avaient vécu vingt ans à l’Etranger, expatriés pour le boulot de mon grand-père, qui travaillait pour les douanes maritimes. Des amis leur avait proposé de se poser dans la campagne corrézienne. N’ayant vu à l’époque aucun inconvénient, ils ont accepté. Aucun des deux n’étaient natifs de la région, je crois me souvenir qu’ils avaient dû y voir un potentiel énorme quant à vivre dans ce coin reculé et encore si vert. En tous cas, pour ma grand-mère, c’était largement plus acceptable que de vivre à Marseille ou en Algérie.
Le paiement s’est fait en cash avec l’argent de la vente des biens familiaux de ma grand-mère. Une pharmacie et une maison de campagne à Briançon pour un pavillon de charme en Corrèze. Afin d’assurer le futur de mon oncle et de mon père, la maison appartient aux enfants, mes grands-parents en jouiront en usufruit.
Pendant un temps, quatre générations se sont partagées les murs. Mes arrières-grand-parents paternels se sont installés dans l’appartement jouxtant le garage. Mes parents, mon oncle et sa copine, mes grand-parents et moi (alors âgée de quelques mois) cohabitions dans le quatre-pièces à l’étage. Le début de la fin.
Pendant des années, c’est resté l’étape obligatoire pendant les grandes vacances. De quelques jours à plusieurs semaines, il fallait aller voir papi & mamie et pépé & mémé aussi. Au fur et à mesure, rien ne changeait, si ce n’est les rides qui s’épaississait sur les différentes bouilles et le poids de la maladie qui petit à petit prenait de l’ampleur. Nous continuions à nous battre le choix des lits dont les matelas étaient complètement défoncés, le tour sous la douche dont le dernier à passer récoltait les derniers centilitres d’eau chaude et puis toujours les mêmes jouets que l’on retrouvait avec peu d’engouement visible et dont nous nous lassions très vite. Idem pour la balançoire. Il n’y avait que la télé qui suscitait envie dans le salon qui lui, séjournait dans la noirceur des volets tirés. “Le jardin n’est pas assez grand ? On ne regarde pas la télé, l’été ! Allez, zou, trouvez-vous une occupation !” Nous finissions par singer avec les lianes du saule-pleureur. Les dimanches, on pouvait faire un gâteau au chocolat.
J’ai détesté cette maison des années durant. Il n’y a que lorsque je refais le gâteau au chocolat que nous préparions avec ma gd-mère que j’esquisse un sourire à son égard. Je revois Tomy le berger allemand, le saule-pleureur, mon papi qui faisait la meilleure sauce tomate du monde et Laurent, mon ami d’enfance. Le reste appartient au passé.
Un jour, mon père & mon oncle devront prendre une décision. Mais qui voudrait d’une maison à entretenir, invendable, entre deux sorties d’autoroute, sur un terrain inondable et inconstructible ? Si de meilleurs souvenirs y étaient gravés, je pense que la question ne se poserait même pas.. Mélancolie.
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